En 2012, au Victoria and Albert Museum (V&A) à Londres, la boutique foisonne de produits en tous genres, de couleurs, de bijoux, de pièces de tissu précieux provenant d’Inde ou de produits davantage touristiques comme les mugs ou les badges.
Il en est de même à la boutique de la National Gallery (Londres) qui n’hésite pas cette année à faire de l’humour en créant des miroirs « Reflect Art ».
En 2004, la même National Gallery proposait, à l’issue de l’exposition Le Greco, des produits comestibles tels du miel ou de l’huile d’olive espagnole ou encore des « azulejos » provenant de Tolède. A la même époque, ce genre de produit n’aurait pas été concevable dans un musée d’art en France, car considéré alors comme trop éloigné de la thématique de l’exposition. La démarche était alors totalement novatrice. Aujourd’hui, cela ne choquerait plus personne en France. Ce qui prouve que les mentalités ont évolué au cours de ces dix dernières années.
Cette différence dans la conception de la boutique tient du fait que le fonctionnement des musées britanniques se distingue de celui des homologues européens par sa grande indépendance à l’égard de l’État et de sa gestion libérale de la culture. Les librairies-boutiques sont la plupart du temps gérées en interne mais dépendent d’une entreprise privée, filiale commerciale du musée. Le gouvernement britannique s’investissant peu dans le financement des musées, ceux-ci doivent par conséquent développer des stratégies de financements propres : l’appel au secteur privé s’avère beaucoup plus naturel qu’en France où nous sommes encore marquée par notre Histoire qui valorisait les arts libéraux (en lien avec les activités intellectuelles) et dénigraient les arts mécaniques (en lien avec les activités commerciales). La Tate Modern n’hésite d’ailleurs pas à préciser dans sa boutique que les achats effectués permettent d’aider financièrement le musée.
La logique de participation financière de la boutique au musée est également partagée par les Américains. En novembre 2011, j’ai eu l’occasion de me rendre à Savannah (Géorgie), ville avec le plus grand quartier historique des États-Unis. La visite au Telfair Museum, m’a permis de confirmer ma thèse selon laquelle la conception idéologique de la culture d’un pays influence l’approche que l’on peut avoir de la boutique du musée d’art. Ce petit musée d’art est en effet particulièrement dotée de moyen en outils pédagogiques : des ateliers de compréhension des œuvres sont accessibles en libre-service au sein du musée et l’on peut même interagir avec certaines œuvres. A cela s’ajoute que tout le discours autour des œuvres et du musée est ancrée dans une dimension de transmission des savoirs, répondant ainsi aux missions premières du musée telles qu’elles ont été définies par l’ICOM. J’ai également pu le constater à la visite du zoo de Savannah : les publics sont accompagnés tout au long de leur visite par des dispositifs de médiation.
Cette conception de la culture très ancrée dans une dimension pédagogique a nécessairement des conséquences sur la boutique, qui n’est finalement que le reflet et la continuité du musée. On y trouve évidemment des livres mais aussi toutes sortes de produits qui n’ont a priori rien à voir avec le contenu du musée d’art de Savannah mais qui sont ludiques et originaux, comme ces badges pris en photo à l’occasion.
En effet, dans le cas des boutiques de musées britanniques et américaines, la boutique n’a plus besoin de prendre le relais pédagogique du musée puisque le musée est déjà dans cette logique de transmission des savoirs. La boutique prend donc tout son sens et joue son rôle logique de soutien financier à l’institution. L’équipe scientifique du musée n’a par conséquent aucun complexe à faire du commerce puisque leur mission de transmission est accomplie.
La différence entre la France et les États-Unis, tient au fait que la culture française reste très imprégnée par l’héritage de Malraux qui voudrait que l’art se révèle au spectateur par la simple contemplation de l’œuvre. Les boutiques sont donc là pour prendre la relève d’une pédagogie relativement absente au sein du musée. Les livres sont par conséquent privilégiés, ce qui est logique pour le public à la recherche d’explications sur sa visite. Davantage d’accessibilité à l’œuvre joue paradoxalement sur le contenu de la boutique…
Toutefois, il est fort probable que ces exemples britannique ou américain ne puissent être transposés de la même manière en France : il reste très difficile d’importer ce type de modèle économique d’un pays à un autre, car il dépend avant tout de l’Histoire du pays. La boutique du musée n’est en effet que la continuité de celui-ci et, même si elle est un commerce où l’on doit vendre des objets, elle n’en reste pas moins dépendante de l’image du musée et des directives émanant de la politique culturelle du pays.
Ainsi, aujourd’hui, en France, la situation a évolué face aux nouvelles directives ministérielles : on trouve des boutiques plus élaborées qui offre une mise en scène du produit dérivé plus ludique, comme cela est le cas avec la librairie des Princes à Versailles tenue par la RMN. Cette évolution s’explique par une demande des publics croissante mais pas seulement. La France étant aussi confrontée à une baisse des subventions publiques face à des coûts de fonctionnement de plus en plus élevés, il faut trouver des moyens pour pallier ce manque de ressources : les boutiques sont aussi là pour aider les lieux culturels à vivre. Pour autant, il semblerait que les musées français ne modifient pas leur mode de transmission des savoirs et que ce soit les boutiques, elles-mêmes, qui fassent le relais en créant des animations culturelles gratuites et ouvertes à tous dans la boutique : des signatures d’ouvrages, des mini-conférences autour de produits dérivés symboliques comme le collier de Marie-Antoinette, des ateliers gratuits d’initiation à la chalcographie à la boutique du musée du Louvre, des rencontres avec des auteurs ou des personnalités du monde de la culture y sont de plus en plus organisées. Ces manifestations intellectualisent de la sorte la boutique, la rende plus tolérable aux yeux des puristes et on en oublie presque qu’elles sont d’abord conçues dans un but commercial. Finalement, ceux qui critiquent une certaine marchandisation de la culture, ne devraient-il pas plutôt déplorer le manque de moyen des musées à former des médiateurs culturels, des conférenciers et à mettre en place de manière systématique et permanente des ateliers pédagogiques au sein du musée ? En définitive, l’origine du mal-être français à l’égard de la « marchandisation » de la culture ne proviendrait-il pas de cette contradiction : la boutique prendrait le relais d’un musée en manque d’investissements alors que la mission principale de la boutique est bien celle de vendre. Poussée à l’extrême, la logique à tendance à s’inverser : on demande au musée d’être rentable et à la boutique d’être pédagogique… cela ne peut que poser problème au professionnels des musées -conservateurs, services aux publics et commerciaux- qui voient ainsi leurs métiers se transformer et qui nécessitent alors de nouvelles compétences ne relevant pas de leurs missions initiales. Cela se fera peut-être suivant une inversion des valeurs, cela prendra sûrement du temps et beaucoup d’énergie, mais il n’est pas impossible que les musées français trouvent enfin un jour cet équilibre tant recherché entre commerce et culture…
En 2017, à la lumière des années passées, l’expérience des boutiques du Château de Versailles ne s’est pas révélée suffisamment probante. De même le concept store sur le modèle « Atelier d’artiste de Picasso » ouvert en 2015 dans le quartier du Marais à Paris en face du musée Picasso a du mal à exister indépendamment du musée. Cette réussite en demi-teinte laisse à penser que la boutique du musée se doit avant tout être dans un musée et que les publics restent (pour l’instant) attachés au continuum muséal.
Enfin, concernant l’offre des boutiques des musées français, elle s’est diversifiée et fait dorénavant la part belle aux produits dérivés originaux, comme on pouvait le voir déjà en 2012 en Angleterre ou aux États-Unis. Les boutiques des grands musées français se sont finalement « normalisées » par rapport aux standards internationaux. Il n’en demeure pas moins que le problème de fond sur les missions du musée français persiste. Car les professionnels ont travaillé sur la question des produits dérivés mais la question du lien avec le musée n’est pas toujours évidente.
Si la boutique du musée est dorénavant entendue et acceptée comme un commerce susceptible de rapporter des apports financiers supplémentaires au musée, il n’en demeure pas moins que la logique financière n’est pas toujours appliquée et on ne donne pas toujours les moyens aux responsables des boutiques de gérer la boutique comme elle le nécessiterait. C’est le cas d’un musée parisien dont le taux de fréquentation tourne autour de 100 000 visiteurs par an pour un chiffre d’affaires en boutique de 60 000 euros environ (la boutique est en gestion directe). Ce dernier refuse d’embaucher une personne supplémentaire pour la vente et demande à la responsable de la boutique de tout gérer seule (réunions avec les équipes du musée, commandes, négociation des marges, suivi et création de produits, gestion du stock, réassort de l’offre, vente auprès des publics et back up administratif). Outre le fait qu’il y un manque à gagner évident en n’investissant pas davantage dans la boutique, ces conditions rendent impossible la tâche : 35 heures à peine mieux payées qu’un SMIC. Sans pour autant généraliser la situation, cet exemple n’est malheureusement pas un cas isolé. Mais le devoir de confidentialité ne me permet pas de dresser une liste exhaustive de ce type de pratiques qui perdurent particulièrement dans le secteur culturel.
A cela s’ajoute que les architectes français continuent de concevoir des espaces dédiés aux boutiques dans les musées qui ne sont pas pensés pour être des boutiques : il n’est pas rare d’entendre un responsable d’une boutique se plaindre de la luminosité qui éclaire davantage les meubles de la boutique que les produits eux-mêmes, ou encore d’un bac à affiches créés spécialement dans l’ameublement de la boutique alors qu’il n’y était pas prévu d’en vendre.
Enfin, le musée français tarde à proposer des outils de médiation aux publics afin qu’ils s’approprient le savoir issu des œuvres. Ainsi, on peut fréquenter des boutiques à l’offre foisonnante en produits dérivés, conçues sur le modèle anglo-saxon, dans des musées qui n’ont pas compensés la perte du relais pédagogique qu’elles offraient au musée. On en arrive ainsi à un appauvrissement global du musée. Le modèle anglo-saxon a en effet bien inspiré les musées français mais on a oublié de regarder le fonctionnement dans sa globalité pour n’en conserver que la partie apparente de l’iceberg.
Article de 2012 mis à jour en 2017