Artistes et expositions

Alfons Mucha, de l’affiche de théâtre au projet politique

D’un voyage à Prague alors âgée de 13 ans, je me souviens de cantines populaires d’une autre époque, faites de zinc métallique et de tables éclairées à la lumière de néons criards, où les commandes étaient hurlés dans des micros grésillants, et où on nous servait des platées de goulasch dans des gamelles cabossées en échange de quelques sous. Je me souviens du pont Saint Charles joyeux et festif où des artisans vendaient des bijoux en céramique ou encore des petites breloques en forme de maison, peintes en bois, que l’on pouvait accrocher autour du cou avec une ficelle de cuir colorée. De mes souvenirs d’enfant, réapparait le merveilleux cristal de bohème que je contemplais furtivement derrière des vitrines parfois poussiéreuses et qui me faisait rêver par son éclat pur et ses milles facettes de lumières… et puis il y avait aussi cet étonnant vieux cimetière juif avec tous ces petits papiers glissés un peu partout entre les tombes, et qui m’avait terrifiée lorsqu’on y avait évoqué la Shoah. Et, surtout, je me souviens de Mucha et de son art omniprésent dans Prague qui participe à construire l’identité et l’âme de la ville, de ses dessins de femmes voluptueuses qui m’avaient alors subjuguée. Cette beauté surannée omniprésente et cette douceur contrastaient si fort avec une culture slave encore marquée par des années de restriction et de politique difficile que j’avais alors pu entr’apercevoir durant cette escapade estivale. J’en fus alors bouleversée. Si l’on parler de choc esthétique, cela en fut un sans aucun doute.

De ces souvenirs tchèques, c’est tout un univers inconnu qui s’est ouvert à moi et qui m’a permis de découvrir l’histoire d’Alphonse Mucha (1860-1939), cet artiste prolifique et polyvalent, connu certes pour ses formes voluptueuses, pour ses affiches de théâtre représentant Sarah Bernhardt et qui fit son succès à Paris. Mais Alphonse Mucha est surtout à l’origine d’un nouveau style en Europe (l’Art nouveau). Il créé un nouveau genre artistique avec l’affiche de théâtre mais il ne s’arrête pas là et propose également des objets, des bijoux, du mobilier… et lance un nouveau style qui influencera toute une époque et toute une génération d’artistes qui participeront à ce mouvement : architecture, mobilier, mode, bijoux… les volutes et les motifs végétaux envahissent la ville jusqu’aux bouches de métro de Paris. Certains évoqueront un art si exhaustif et si omniscient (le style s’étend à plusieurs pays en Europe en ce début de 20e siècle) qu’ils le nommeront « art total ».

Alphonse Mucha bouleverse alors les codes de l’art de l’époque : l’art illustre dorénavant le produit, l’objet d’art devient décoratif et à la portée de tous. Mucha est en quelque sorte le père de la publicité et permet à l’art et au commerce de coexister sans autre forme de débat.

Mais Alphonse Mucha est aussi un artiste engagé spirituellement : il était membre d’une chambre maçonnique et y menait notamment une réflexion profonde sur la mort, et le sens de la vie. Cette réflexion le pousse, dans la dernière partie de sa vie, à mener un tout autre travail. Un peu comme Balzac et son ambitieux projet de « la condition humaine », Mucha veut présenter des scènes de la vie et de la culture slave dans le but de redonner une forme de grandeur à son peuple : cette « Épopée slave » réalisée à Prague, en Tchécoslovaquie, est constituée d’un ensemble de 20 tableaux assez peu connus du grand public. A travers l’histoire racontée du peuple slave, Alphonse Mucha souhaitait valoriser mais surtout donner un nouvel élan à sa culture d’origine. L’art était alors un moyen comme un autre pour porter ce projet qui, pour Mucha, était avant tout politique. L’art de Mucha restera à jamais indissociable de l’identité slave, comme Prague en atteste d’ailleurs encore aujourd’hui.

Pour en savoir plus et découvrir quelques unes des œuvres de l’Épopée slave ainsi que des œuvres majeures de l’artiste, il reste quelques jours pour visiter l’exposition consacrée à Alphonse Mucha au Musée du Luxembourg à Paris (voir photos ci-dessous).

https://museeduluxembourg.fr/expositions/alphonse-mucha

Jusqu’au 27 janvier 2019.

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